Heidi Worley
Former Program Director
October 27, 2021
Former Program Director
Les défenseurs maîtrisent parfaitement l’adage selon lequel « le plus important est de choisir le bon moment ». Souvent, ils cherchent la fenêtre d’opportunité idéale, c’est-à-dire le moment où plusieurs facteurs politiques et sociaux convergent et permettent de réaliser des avancées en vue d’atteindre un objectif spécifique en matière de politique.
Au cours des trois dernières années en Côte d’Ivoire, le projet SAFE ENGAGE de PRB a espéré que la convergence d’une nouvelle constitution ivoirienne et des progrès réalisés dans le cadre d’un projet de loi sur la santé reproductive constituerait l’occasion idéale de collaborer avec des partenaires de la société civile et du gouvernement pour renforcer l’accès à l’avortement sécurisé. Même s’il n’est pas possible de démontrer concrètement le lien entre les activités du projet et le changement politique, ce projet a favorisé un dialogue important susceptible d’initier un changement à l’avenir.
Dans le cadre du projet SAFE ENGAGE, les premières mesures de plaidoyer s’efforçaient de faire voter un projet de loi relatif à la santé reproductive. C’était l’occasion idéale de rassembler les défenseurs locaux afin d’étudier les données disponibles sur le rôle de la contraception, l’avortement sécurisé et les soins après avortement dans la prévention des décès maternels. L’adoption d’une telle loi permettrait d’inscrire les questions de santé reproductive au programme politique national.
La plupart des femmes ivoiriennes n’ont pas accès à des soins d’avortement légaux et sécurisés : plus de six avortements sur dix pratiqués en Côte d’Ivoire en 2018 n’étaient pas sécurisés. L’avortement non sécurisé est l’un des principaux facteurs de décès et d’incapacité maternels dans le monde. Selon les estimations, il est la cause de plus d’un décès lié à la grossesse sur six en Afrique de l’Ouest. En élargissant l’accès à l’avortement sécurisé, la Côte d’Ivoire serait en mesure de réduire le nombre de décès et des incapacités maternels, mais aussi d’investir de manière plus importante dans l’avenir des femmes et des jeunes filles.
En collaborant avec des partenaires locaux, le projet SAFE ENGAGE a codéveloppé et diffusé un ensemble de vidéos dans le but de sensibiliser le grand public aux causes et aux conséquences des avortements non sécurisés en Côte d’Ivoire, et renforcer le soutien en faveur d’un meilleur accès à des services complets de santé reproductive, comprenant l’avortement sécurisé. Le projet a créé un groupe de travail mené par un partenaire local appelé l’Association Ivoirienne pour le Bien-Être Familial (AIBEF), qui regroupe plus de vingt organisations et représentants du ministère de la Santé et de l’Hygiène publique, dont le Programme National de la Santé de la Mère et de l’Enfant (PNSME). Tout au long du processus de co-création du projet SAFE ENGAGE, des experts ont partagé des informations sur les cadres juridiques et la pertinence du Protocole de Maputo dans ce contexte. En outre, les défenseurs ont développé leur capacité à utiliser les données relatives à l’avortement, et des communications ont été diffusées à l’échelle nationale et locale.
En parallèle, le projet SAFE ENGAGE a organisé une formation destinée aux médias indépendants en Côte d’Ivoire afin de conférer aux journalistes les connaissances nécessaires et de leur donner accès au réseau adéquat pour produire des témoignages éclairés sur l’avortement sous une forme adaptée à leurs moyens d’expression et à leurs communautés. Les activités médiatiques ont été menées simultanément de manière intentionnelle au lieu d’être intégrées à la mission du groupe de travail, car elles n’étaient pas destinées à promouvoir cette dernière ni à mettre en avant la vidéo du projet SAFE ENGAGE.
Par ailleurs, la Côte d’Ivoire a adopté une loi importante, la loi no 2019-574 portant sur le Code pénal, en vertu de laquelle l’avortement en cas de viol n’est plus pénalisé si certains critères sont remplis. Conformément à l’ancienne loi, l’avortement était légal uniquement pour sauver la vie de la mère. Cette réforme du Code pénal a permis d’élargir l’accès à l’avortement et d’inscrire davantage le pays dans la lignée du Protocole de Maputo.
La co-création et la diffusion d’une vidéo dans le cadre du projet SAFE ENGAGE ont-elles contribué à la révision du Code pénal concernant l’avortement ? Pour répondre à cette question, le projet a mené une analyse de traçage des contributions afin de déterminer si une chaîne d’événements pouvait avoir un lien de cause à effet en partant des éléments de l’intervention pour arriver à la modification du Code pénal en 2019.
Face aux réactions provoquées par la vidéo, l’équipe en charge du projet a estimé que l’intervention pouvait avoir joué un rôle dans l’adoption de la nouvelle loi. Néanmoins, l’analyse de traçage des contributions n’a pas pu confirmer avec certitude que l’intervention du projet SAFE ENGAGE en Côte d’Ivoire était à la source de ce changement politique. De fait, les évaluateurs ont défini que, pour pouvoir exercer une quelconque influence sur la loi, l’intervention aurait dû être lancée plusieurs mois avant la réforme du Code pénal ou aurait dû cibler des personnes spécifiques au sein du ministère de la Justice.
Les évaluateurs ont donc établi que l’influence des Nations Unies constituait une explication plus plausible à la révision du Code pénal. En 2015, le gouvernement de Côte d’Ivoire a annoncé qu’il modifierait le Code pénal pour se conformer au droit international humanitaire. En parallèle, le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a exhorté le gouvernement à agir afin de traiter les questions de la violence basée sur le genre, du viol et de l’accès à l’avortement sécurisé. Il a plus précisément demandé la légalisation de l’avortement a minima dans les cas de viol, d’inceste et de malformation fœtale, et a appelé à une dépénalisation plus vaste de l’avortement.
Même si les évaluateurs n’ont pas trouvé de preuve de l’influence de l’intervention sur le Code pénal, leur analyse a révélé d’autres résultats positifs. L’adhésion de la population locale aux messages et aux recommandations concernant l’avortement (spécificité de l’intervention du projet SAFE ENGAGE) a résonné en Côte d’Ivoire. Outre la vidéo principale, les membres du groupe de travail ont décidé de créer plusieurs vidéos secondaires afin de s’assurer de la conformité des messages au projet de loi sur la santé reproductive. Par ailleurs, ils ont organisé des réunions supplémentaires après le lancement des vidéos en vue de garantir une stratégie de diffusion plus complète en tenant compte des enseignements tirés de la première campagne de communication. Ainsi, ces organisations ont réalisé plus de 40 activités de diffusion, contribuant au dialogue sur les politiques à l’échelle locale et nationale.
À l’issue des événements du projet SAFE ENGAGE au sein des communautés locales, certains représentants officiels se sont engagés à sensibiliser le grand public sur les questions de santé reproductive. Au moins trois communautés ont signé des déclarations en faveur d’un accès gratuit aux contraceptifs pour toutes et tous. Certains chefs religieux se sont même déclarés en faveur de certaines des recommandations formulées.
Ensemble, ces résultats sont la preuve de l’engagement des parties prenantes en faveur d’une vision commune et d’une cohésion qui améliore l’efficacité du dialogue sur les politiques et du plaidoyer. Outre l’analyse concernant la Côte d’Ivoire, le projet SAFE ENGAGE a effectué un traçage des contributions pour son travail dans l’État de Lagos. Dans les deux cas, l’objectif était d’évaluer le rôle de l’intervention dans le cadre des activités du projet afin d’améliorer l’accès à l’avortement sécurisé.
Pour en savoir plus, lisez le rapport technique.